Votre horoscope à l’ère de ChatGPT

12 juin 2023 - 02:00,

Tribune

- Cédric Cartau
En dehors des atermoiements de la technosphère (dont la spécialité est de développer des léviathans incontrôlables et de s’en mordre les doigts ensuite), que va réellement changer ChatGPT (et tous les modèles d’IA en état de fonctionner ou à suivre) ? Petite analyse pas du tout orientée sur le modèle des horoscopes des revues de mamies septuagénaires abonnées au catalogue Blancheporte : travail, amour, argent, loisirs.

Travail pour commencer : c’est bien simple, vous n’en aurez plus.

Dit en ces termes, ça a l’air grave, mais en fait pas tant que ça. D’une part, selon certains fins observateurs de nos sociétés, au minimum 20 % des employés ne servent strictement à rien à part faire courir le canard sans tête qu’est devenue l’Entreprise (c’est en tout cas ce que pense David Graeber[1]). D’autre part, quand on voit l’hydre administrative qui nous pourrit la vie (essayez donc d’obtenir le laissez-passer A-38…), serait-ce un mal de revenir à la base ?

Et puis il y a le côté très positif : exit le débat sur la fraude sociale (on sera tous des assistés), sur l’âge de la retraite (si plus de boulot, plus de retraite non plus) et sur les ultra-riches (qui devront bien allonger la thune pour que l’on puisse continuer à consommer leurs produits à 95 % inutiles).

Amour, c’est hyper-positif.
Au type qui réussira à me brancher ChatGPT sur Tinder et Fruitz, succès assuré. Imaginez l’énergie économisée (sans parler de l’amour-propre) à laisser une IA aller vous chercher elle-même les swipes vers la droite ! Ça va pécho grave le lendemain des soirées en ville quand vous aurez rentré les coordonnées de toutes vos rencontres de la veille. Bon, y a juste un hic : l’IA avec Tinder, c’est comme la fonction « Chemin le plus court en fonction du trafic » dans Waze, elle ne vaut que si l’on est le seul à l’avoir. Je prévois des dépôts de brevets exclusifs avec abonnement coûtant une blinde sur le sujet.

Argent, trop fastoche votre patrimoine financier géré par une IA : répartition de votre portefeuille boursier, analyse des contrats d’assurance-vie, optimisation de vos comptes à vue. Étant donné que vous n’aurez plus de boulot (voir plus haut), cela va devenir votre principale source de revenus (je veux dire en dehors du fait que nous serons tous des assistés sociaux, voir aussi plus haut). Il ne faut donc pas négliger le sujet.

Je suis juste un tantinet inquiet sur le côté intrusif : depuis belle lurette, les opérateurs de cartes bancaires savent déterminer si vous entretenez une relation extraconjugale rien qu’en analysant les statistiques de vos achats (authentique). Je n’ose imaginer ce que cela va devenir dès que l’on va brancher une IA dessus : une livraison Durex par drone en temps réel dès que votre IA aura déclenché un swipe droit sur Tinder avec cumul sur votre carte de fidélité et pour 10 boîtes livrées la tenue Superman translucide offerte ? L’efficacité risque d’y gagner ce que le mystère de la séduction va y perdre…

Loisirs : rien de nouveau sous le soleil. On est déjà dans le siècle des loisirs – pour le milliard d’individus sur Terre avec notre niveau de vie s’entend. Pourquoi continuer de voter si l’IA sait avant vous qui vous allez choisir ? Aller voir un match de footeux si l’IA sait d’avance pronostiquer le score ? À part le Scrabble en famille, on risque de s’ennuyer ferme.

Bon, à force de nous dire que la prochaine techno va nous transformer en oisifs professionnels (ce qui n’est jamais arrivé, j’insiste, plus y a de PC, plus on fait d’heures), la prédiction va bien finir par se réaliser un jour ou l’autre. Côté cyber, c’est simple : on laissera les IA des bad guys se fritter avec les IA de défense, on aura juste besoin de produire des camemberts en couleurs pour faire croire que l’on bosse – il se dit que certains sont en train de trimer sur une IA dédiée.

Mais en fait, de vous à moi, ce qui m’inquiète le plus, c’est Tinder : on va faire comment pour être sûr de ne pas swipervers la droite… une IA ?


[1] Bullshit Jobs.


L'auteur 

Responsable Sécurité des systèmes d’information et correspondant Informatique et Libertés au CHU de Nantes, Cédric Cartau est également chargé de cours à l’École des hautes études en santé publique (EHESP). On lui doit aussi plusieurs ouvrages spécialisés publiés par les Presses de l’EHESP, dont La Sécurité du système d’information des établissements de santé.

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