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L’arnaque à l’arrêt de travail comme source de réflexion

14 avril 2025 - 21:57,
Tribune-
Cédric Cartau

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Illustration L’arnaque à l’arrêt de travail comme source de réflexion
Soupçonné d’avoir mis en place un site Web permettant d’acheter de « faux » arrêts de travail en quelques clics et pour 9 euros seulement, un jeune homme de 22 ans originaire des Landes est sous le coup d’une accusation et de poursuites diverses. Les faux arrêts de travail étaient générés automatiquement à l’aide de données réelles, notamment l’identité d’un véritable praticien et, en l’espace de quelques mois, cette activité illégale lui aurait rapporté plus de 280 000 euros, selon les informations du Parisien, grâce à une plateforme qui comptait pas moins de 45 000 inscrits. Parmi eux, au moins 25 000 auraient effectivement reçu un faux arrêt de travail. Cette affaire interroge, à plusieurs titres et sur plusieurs aspects.

À commencer par : à quel point faut-il être crétin pour penser qu’une arnaque pareille passerait éternellement sous le radar et que jamais on ne verrait débarquer la maréchaussée devant sa porte ? J’avoue que le raisonnement qui conduit des individus à monter des arnaques forcément visibles à court terme me laisse pantois.

L’autre point qui interroge concerne cette fois les « usagers » putatifs de la plateforme : pour courir le risque d’une accusation d’usage de faux, avec d’éventuelles radiations et amendes, le tout pour un faux arrêt de travail de quelques jours, jusqu’où faut-il être inconscient (je précise que la question du stress au travail n’est pas l’objet du présent article) ? Bon, dans les deux cas, peut-être que je suis devenu le vieux con de service et que je ne sais pas vivre avec mon temps, hein ?

Ce qui amène naturellement à la question des contrôles dans un dispositif qui distribue de l’argent. Premièrement, la poignée d’abrutis qui ont abusé du système (25 000 sur une population de 66 millions de personnes, c’est même une toute petite poignée) se rendent-ils compte que c’est à cause de ce genre de comportement que l’on voit des libertariens de tout poil prôner la privatisation du système ? Certes le privé est bien meilleur pour contrôler l’usage des sous (forcément, c’est le sien), mais à quel prix en termes de litiges et de retards de règlements ? Le scénario d’ailleurs le plus probable est que la prestation reste publique, mais que les contrôles soient privatisés avec paiement en pourcentage des montants ramenés. Et là, il y a fort à parier que ce sera beaucoup moins drôle pour tout le monde (les faux positifs vont se multiplier et l’on risque tous de finir par se battre en devant se justifier sur des anomalies qui n’en sont pas).

Et surtout, il y a la question des contrôles. Je ne suis pas dans le secret des dieux, mais mettre plusieurs mois à détecter des dizaines de milliers d’arrêts de travail bidon, est-ce long ou pas ? Je n’ai aucune idée du poids total des arrêts de travail, mais ce qui est certain, c’est que si, sur la masse, 25 000 en plus atterrissent sur le compte d’un seul praticien de ville, on a un léger souci en termes de repérage des anomalies statistiques. Je rappelle que (restez bien assis) le plus grand serial killer britannique – le Dr Harold Frederick Shipman, enchanté monsieur – a été démasqué parce qu’il signait un nombre anormalement élevé (c’est peu de le dire) de certificats de décès : on pense qu’il a expédié ad patres plus de 200 personnes âgées en ayant la main lourde sur les piquouses, pour s’approprier leur héritage. Euuhhh, quelqu’un a pensé à regarder la courbe de Gauss des certificats de décès en France histoire de voir si on n’aurait pas un équivalent ? J’dis ça, j’dis rien, hein ?

Inspecter un système (la fraude à l’assurance maladie ou les accès au DPI d’un établissement de santé), c’est mettre en place quatre catégories de contrôles :

– le contrôle partant de l’utilisateur : on échantillonne des médecins ou des soignants au hasard, et on regarde s’ils ne sont pas allés regarder le dossier médical du collègue, du petit copain de leur fille, etc. Dans le cas de l’assurance maladie, ce serait un contrôle partant du médecin prescripteur et des arrêts qu’il signe, des prescriptions qu’il délivre, le tout automatisé bien entendu ;

– le contrôle partant de l’usager : on échantillonne des patients, et on regarde le panel des professionnels qui ont regardé leur dossier pour détecter des anomalies ; dans le cas de l’assurance maladie, il faudrait partir des assurés pour détecter les arrêts de travail en anomalie, par exemple, le tout encore une fois automatisé ;

– le contrôle par « pattern » ou motif d’anomalie : dans le cas d’un DPI, il s’agirait de repérer les professionnels de santé qui consultent le dossier médical d’un collègue, d’un voisin de palier, d’un homonyme, etc. ;

– et enfin, le plus redoutable, le contrôle par anomalie statistique : la courbe des arrêts maladie signés par des médecins est en forme de cloche (courbe de Gauss), l’idée est de concentrer les moyens de contrôle sur ceux qui sont à l’extrémité statistique (nombre anormal de déclenchement de bris de glace, nombre anormal de certificats de décès, etc.). Les « anomalies statistiques » n’en sont, au final, peut-être pas (qu’un urgentiste signe plus de certificats de décès qu’un dermatologue n’étonnera personne), mais c’est là qu’il faut concentrer les moyens de contrôle, car tout vérifier est impossible – et en fin de compte on améliore par ailleurs les algorithmes, par exemple en examinant la répartition statistique des seuls urgentistes entre eux, des médecins de famille entre eux, etc.

Ce type de crible de contrôle n’évite pas les dispositifs de fraude qui passent sous le radar en n’émettant que des signaux faibles mais, à terme, frauder dans les grandes largeurs devient beaucoup plus compliqué. Même s’il y aura toujours des fraudeurs à la petite semaine, au moins on crible les gros lourdauds. Il y a bien entendu la question de la sanction (pour les faux arrêts maladie comme pour les accès indus au DPI), mais là, ce n’est plus le même débat.

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Cédric Cartau

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